Ti Kozman

Entre Michel Fontaine et Cyrille Melchior, ce n’est plus le grand amour politique

Vis-à-vis de celles et ceux qui suivent le « Ti Kozman » du vendredi, je tiens à m’excuser d’emblée car je me suis un peu emmêlé les pinceaux dans les dates. Je vous avais dit en effet, vendredi dernier, que le « Ti Kozman » ne sera pas au rendez-vous ce vendredi 20 octobre et qu’il sera de retour le 27 octobre. En fait, c’est l’inverse. C’est la semaine prochaine, le 27 octobre donc, qu’il ne sera pas au rendez-vous. Vraiment désolé pour ce « l’amaillage ». Les neurones qui commencent à me jouer des tours ; La vieillesse, sûrement !

Venons-en à notre sujet de Une, au titre de ce « Ti Kozman ». Au regard de ce qui se passe dans le monde (guerre israélo-palestinienne, russo-ukrainienne) et même chez nous (vie chère et j’en passe…), vous pourriez très bien me dire que vous en avez rien à cirer des problèmes relationnels entre nos élu.es et je vous comprendrais aisément. Mais en tant qu’observateur de la vie politique locale, je ne pouvais passer sous silence cette grosse friction qui existe entre les deux leaders de la droite réunionnaise, à savoir Michel Fontaine, maire de Saint-Pierre, président de la Civis et de « LR » (Les Républicains) et Cyrille Melchior, président Macron-compatible du Département d’autant que c’est la première fois que ça arrive.

Cyrille Melchior et Michel Fontaine : ne pas se fier aux apparences, les deux hommes ne se sont plus parlé depuis l’après-sénatoriales.

Contrairement à Huguette Bello et Ericka Bareigts qui s’étaient alliées le temps des élections régionales, celles de 2021, sans qu’il y ait pour autant des affinités solides entre les deux dames, Michel Fontaine et Cyrille Melchior étaient quant à eux, depuis toujours, comme « chouchoute ek la morue », un peu les Laurel et Hardy de la droite locale, des inséparables.

Or, la situation a changé depuis la période post-sénatoriale. Le bèsement qui était d’actualité jusqu’ici plutôt à gauche sur le curseur politique, plus précisément entre Huguette Bello et Ericka Bareigts, les deux rivales de la gauche locale, a contaminé la droite en touchant plus particulièrement le duo Fontaine-Melchior. Il y a réellement de l’eau dans le gaz. Sans doute finiront-ils par se rabibocher autour d’une table (ronde, ovale ou carrée, je n’en sais rien), un peu comme les parents le font au lit après une dispute, mais pour l’instant, il y a du bisbille dans l’air entre les deux élus.

La raison ? L’inscription de Stéphane Fouassin, sénateur de la Réunion, élu le 24 septembre dernier sur la liste des droites et des centres, au groupe macroniste « Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants » (RDPI), qui compte 22 sénateurs et qui est présidé par François Patriat, fidèle du Président de la République.

Pour rappel, le Sénat compte neuf groupes politiques. Outre RDPI, la répartition est la suivante : Les Républicains (133 sièges), groupe auquel fait partie la sénatrice Viviane Malet ; Groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain (SER, 64 sièges) ; Union centriste (56 sièges) ; Groupe Communiste Républicain Citoyen et Ecologiste-Kanaky (18 sièges) ; Groupe Les Indépendants-République et Territoires (18 sièges) ; Groupe Ecologiste-Solidarité et Territoires (17 sièges) ; Groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (16 sièges) et Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe (4 sièges).

Pour la petite histoire, il est dit qu’au jour de l’inscription au sein des groupes au Sénat, Stéphane Fouassin avait déjà donné sa parole, le matin, à Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste mais, durant l’après-midi, sur les conseils, pour ne pas dire l’insistance de Cyrille Melchior et de son équipe – des membres du cabinet du président du Département étaient présents au Sénat pour accompagner Fouassin – l’ancien maire de Salazie, pourtant centriste, a finalement rejoint le groupe Macroniste « RDPI ».

Fontaine n’a pas digéré l’inscription de Fouassin au groupe Macroniste avec le soutien de Melchior

Et c’est à partir de ce moment là que le bèsement commence à péter entre Michel Fontaine et Cyrille Melchior ; Le président de « LR » Réunion prend « ce coup bas » comme une véritable « trahison » de la part du président du Département qui lui aurait « fait un petit dans le dos ». Ce sont en tout cas les mots qui sont aujourd’hui employés par l’entourage proche de Michel Fontaine. Lequel entourage précise « qu’à aucun moment, il n’avait été question pour un sénateur de la liste des droites et des centres de rejoindre un groupe macroniste au Sénat. Cela n’avait jamais fait partie des discussions». Aussi, considère-t-il cette inscription comme « un piège » tendu par Cyrille Melchior « qui a discuté seul avec le gouvernement, sans en informer Michel Fontaine et tous les autres qui, ensemble, avaient constitué la liste des droites et des centres ».

Rappelez-vous, au départ, pour la deuxième place sur cette liste, il avait été question de Serge Hoareau, maire Macron-compatible de Petite-Ile, président de l’association des maires de la Réunion (AMDR) et 1er vice-président de la Civis (depuis hier président de la Commande publique). Ce dernier avait le soutien entier de Michel Fontaine. Mais du côté de Cyrille Melchior, cette candidature avait, semble-t-il, un peu fait tiquer dans le sens, comme l’avait souligné l’entourage du président du Département et même celui d’André Thien-Ah-Koon, maire du Tampon, ou « Serge Hoareau était de gauche, qu’il avait appelé à voter pour la socialiste Ericka Bareigts aux régionales de 2021, contre Didier Robert, qu’il était maire d’une petite commune, qu’il avait appelé à voter Macron à la présidentielle de 2022 et qu’il était sudiste, qu’avec Viviane Malet en tête de liste, ça faisait trop sudiste… ».

L’entourage de Melchior est allé chercher Fouassin là-haut dans son cirque. Michel Fontaine a dû manger son chapeau et accepter Stéphane Fouassin, le centriste qui, le 18 décembre 2017, avait pourtant soutenu à fond Jean-Claude Lacouture, le candidat de Didier Robert contre… Cyrille Melchior. Lequel Melchior a été élu au final avec une voix d’avance. Le camp de Michel Fontaine tient d’ailleurs à rappeler le travail mené par le maire de Saint-Pierre, à l’époque, notamment auprès de Thierry Robert, alors maire de Saint-Leu, pour obtenir le soutien d’une conseillère départementale de cette commune. Laquelle avait permis de battre Lacouture. A vérifier étant donné que le vote est secret !

Toujours est-il, pour revenir aux récentes sénatoriales, Fontaine accepte Fouassin même s’il est maire d’une petite commune, comme Serge Hoareau. La campagne électorale bat son plein. La liste des droites et des centres obtient deux sénateurs : Viviane Malet et Stéphane Fouassin. Fontaine, Melchior, Tak laissent entendre qu’ils ont bien bossé. Melchior ne le dit pas ouvertement mais il fait comprendre qu’il est pour beaucoup dans cette victoire. Idem pour Fontaine qui n’est pas du genre non plus à s’épancher mais dans son cercle, il ne cache pas avoir pris son téléphone pour causer avec des camarades « communistes purs et durs » ainsi qu’avec des «socialistes » et « même avec des soutiens de Bello » pour les résultats qu’on connaît, d’autant, paraît-il que « tous les soutiens des droites et des centres n’ont pas joué le jeu ; Une des grandes communes de droite a beaucoup fait pour le Macroniste Michel Vergoz et d’autres ont aussi donné des voix à Jean-Jacques Morel », des listes concurrentes à celle de Fontaine/Melchior/Tak.

De gauche à droite : le sénateur Macroniste Stéphane Fouassin et Mario Moreau, adjoint à la maire de Salazie.

Au lendemain des sénatoriales, Malet s’inscrit au groupe « LR ». C’est logique. Mais Fouassin, lui, va chez les Macronistes. Observation des pro-Fontaine : « Les Macronistes nous avaient collé dans les pattes Michel Vergoz et, aujourd’hui, Melchior leur apporte un sénateur sur un plateau ». Autant dire que le maire de Saint-Pierre et président de « LR » se dit déçu par le comportement du président du Département, qui ne l’a pas consulté. Le président de « LR » qui ne sait pas non plus quoi répondre aux grands électeurs de gauche qu’il était aller chercher pour faire l’appoint le 24 septembre dernier. En clair, il passe pour un « traitre à cause de Melchior ».

Selon l’entourage de Fontaine, « si Serge Haoareau avait été sur la liste comme convenu dès le départ et qu’il avait été élu, il se serait inscrit au sein d’un groupe charnière mais pas directement avec les Macronistes. Il aurait rejoint par exemple un groupe comme celui proche d’Edouard Philippe ». L’entourage de Fontaine n’en démord pas : « Stéphane Fouassin aurait dû faire pareil ou alors s’inscrire à l’Union centriste, comme l’était avant lui Nassimah Dindar ».

Du côté de Fontaine, on estime que « Melchior n’en a fait qu’à sa tête, sans consulter personne, parce qu’il se voit déjà comme le leader de la droite locale ». Lequel entourage ajoute : « dans ces conditions, pourquoi ne prend-t-il pas sa carte Renaissance ? Pourquoi reste-t-il encarté à LR ? ».

« C’est Fontaine qui a fait Melchior, et non l’inverse ! »

Du côté des Melchioristes, on explique « que c’est un deal en effet qui avait été passé entre le président du Département et la majorité présidentielle mais qu’il n’a jamais été question de trahir qui que ce soit. Le président en avait parlé à André Thien-Ah-Koon ». Les pro-Melchior précisent par ailleurs « que le gouvernement a toujours été à l’écoute des doléances du Département ». Et les Melchioristes de citer notamment « la recentralisation du RSA et d’autres aides du gouvernement en faveur de la Réunion ».

Vous l’aurez compris, il y a un gros coup de froid aujourd’hui sur les relations Fontaine-Melchior. Si les deux hommes se tenaient par la main au sens littéral du terme (voir photo ci-dessous) au soir de la victoire du 24 septembre, lors de la proclamation des résultats du scrutin des sénatoriales, dans la cour de la préfecture, l’ambiance n’est plus du tout au beau fixe. Ils ne se parlent plus. Michel Fontaine ne répond plus au téléphone.

Invité il y a deux semaines par le président du Département au palais de la Source lors de la venue de l’ancien ministre Hervé Gaymard à l’occasion du 70e anniversaire de la venue du Général de Gaulle à la Réunion, le maire de Saint-Pierre a boycotté l’invitation de Melchior. En revanche, le lendemain, le président « LR » a assisté au repas organisé au domicile de Richenelle Hubert, à Saint-Denis, en présence d’Hervé Gaymard, de René-Paul Victoria et d’autres invités parmi lesquels Mario Moreau et Emmanuel Virin, du comité de Gaulle. Sans Cyrille Melchior. Le torchon brûle entre les deux élus. L’entourage du maire de Saint-Pierre tient tout de même à rappeler que « c’est Fontaine qui a fait Melchior et non l’inverse ». On ne se fait pas de cadeau à droite. Qu’en pense Michel Fontaine de tout ça ? Le maire de Saint-Pierre n’a pas souhaité répondre à mes appels. Lui ne cause pas. Son entourage s’en charge.

Réunion à l’Elysée ce vendredi avec les élus ultramarins

Quant à Cyrille Melchior, il a pris l’avion, mercredi soir, pour Paris. Tous les présidents des Départements et des Régions d’Outre-mer ainsi que les parlementaires ultramarins sont invités ce vendredi à l’Elysée par le président de la République Emmanuel Macron pour discuter de plusieurs sujets, parmi lesquels sans doute l’évolution institutionnelle qui avait été formulée dans l’appel de Fort-de-France. On en saura plus dans les jours qui viennent.

Pour info, sachez que Nassimah Dindar a quitté le groupe PS au Département pour rejoindre celui de Cyrille Melchior. Ce dernier doit lui laisser la délégation commission océan Indien. C’est ce qu’il avait été convenu avant les sénatoriales.

Pour rester dans la politique, j’ai noté qu’il existait en fait deux courants macronistes à la Réunion : celui de Renaissance, version Stéphane Séjourné, Gabriel Attal, qui soutient Michel Vergoz, le président du MPTU (Mouvement Politique Trait-d’Union) et celui porté par le ministère des Outre-mer et le conseiller de l’Elysée pour l’Outre-mer qui sont plutôt proches de Melchior et d’une partie de la droite locale.

Cyrille Melchior et Sidoleine Papaya, la nouvelle maire de Salazie.

Pour conclure dans ce domaine, je voulais aussi saluer la nouvelle maire de Salazie. Je ne la connais pas spécialement. Elle est assez «neuve » en politique. Elle a rejoint Stéphane Fouassin depuis 2014. Mais j’ai trouvé son discours prononcé samedi dernier, à la fois en créole et en français, très réaliste. J’ai beaucoup apprécié également sa posture très consensuelle (même s’il lui a manqué 3 voix au sein de la majorité), son naturel. Je salue aussi, bien évidemment, le comportement de Mario Moreau, qui s’est retiré de la compétition pour laisser la place à Sidoleine Papaya, « au nom de la cohésion du groupe majoritaire ».

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