Cela fait maintenant quelques mois que la SPL (Société Publique Locale) Estival défraye la chronique des faits-divers dans la presse locale. La SPL Estival est la société qui gère le transport public dans les six communes (Saint-Benoit, Sainte-Rose, Saint-André, Plaine-des-Palmistes, Bras-Panon et Salazie) de la Cirest, présidée par Patrice Selly, également maire de Saint-Benoit.
La SEM (Société d’Economie Mixte) Estival devenue SPL depuis février 2022 avait comme président-directeur général Ludovic Alamélou, conseiller municipal de Bras-Panon. Depuis les différentes révélations dans la presse locale concernant la mauvaise gestion de la SPL qui accuse aujourd’hui un déficit de près de 3 millions d’euros avec des dépenses injustifiées évaluées à plusieurs centaines de milliers d’euros, le Pdg Ludovic Alamélou a été révoqué le 24 juillet dernier.
« Dérive financière alarmante, manque de contrôle budgétaire… », selon le tribunal de commerce de Saint-Denis
C’est Patrice Selly qui assure donc, depuis cette date, l’intérim de la présidence de la SPL Estival. Ludovic Alamélou a, par ailleurs, remis sa démission en tant que conseiller municipal de Bras-Panon. Lettre remise le 3 août dernier au maire de Bras-Panon Jeannick Atchapa. Enfin, suite à la réunion du Conseil d’Administration de la SPL Estival ce mardi 12 septembre, c’est Claude-Anne Cambronne qui a été nommée directrice générale de la SPL, qui a été placée, depuis quelques semaines, en redressement judiciaire, suite à une décision du tribunal de commerce de Saint-Denis.
« Si le tribunal prend cette décision, c’est au vu des éléments qui nous ont été transmis, notamment par les autorités comptables, qui évoquent une dérive financière alarmante, un manque de contrôle budgétaire, une augmentation inquiétante des charges salariales et un déficit pour partie enregistré sur l’année 2022 », argumentent les juges
Aujourd’hui, son président par intérim demande aux communes de la Cirest ainsi qu’au Département d’abonder les caisses via une augmentation du capital de la SPL. La Région a déjà fait savoir qu’elle attend un assainissement de la situation budgétaire de la SPL. Elle était finançait la SPL à hauteur de 5% contre 95% à la Cirest. Le Département n’a pas compétence en matière de transport. Quant aux communes qui composent la Cirest, elles laissent entendre qu’elles n’ont pas de marge de manœuvre financières pour permettre une augmentation du capital. Elles veulent obtenir des comptes eu égard à toutes les révélations faites dans la presse locale. Actuellement, la Chambre régionale des comptes (CRC) mène un travail de contrôle de la SPL qui devrait déboucher sur un rapport et, vraisemblablement, sur un signalement auprès de la Procureure de la République.
Mais en attendant, Joé Bédier, maire de Saint-André, qui avait dès le départ tiré la sonnette d’alarme sur la transformation de la SEM Estival en SPL ainsi que sur la gestion de cette société publique alimentée par l’argent des contribuables, a décidé de passer à l’étape judiciaire en déposant plainte contre X pour « détournements de fonds publics et complicité de ce délit » auprès du Tribunal de Saint-Denis. Une plainte simple déposée par le cabinet Maître Robin Binsard, Binsard Martine associés ». Une plainte qui fait 9 pages au total qui porte sur plusieurs points.
Tout d’abord sur « l’élection hasardeuse de Ludovic Alamélou » : En 2020, Ludovic AMALELOU était élu au conseil communautaire de la société Estival, alors une société d’économie mixte, en tant que représentant de la commune de Bras-Panon.
Son parcours professionnel était pourtant totalement inconnu, tant du président de la Cirest qui disait récemment dans la presse : « En 2020, quand la nouvelle gouvernance s’installe, je ne connais pas Monsieur Amalélou ». Idem pour le maire de Bras- Panon : «Peut-être qu’il était bagagiste à l’aéroport Roland-Garros. Peut être responsable d’équipe. Je n’ai pas en mémoire ce qu’il faisait concrètement. Peut-être a-t-il évolué après ».
Autre point évoqué dans la plainte : « les dérives financières » telles que « politique salariale opaque », achat de véhicule de fonction haut de gamme (DS7) pour le nouveau Pdg, sans compter toutes les grosses factures farfelues révélées aujourd’hui dans les médias locaux.
Plus d’une fois, Joé Bédier avait sonné le tocsin depuis février 2022. Malgré cela, Patrice Selly a toujours fait confiance au Pdg Alamélou, bottant alors en touche les remarques du maire de Saint-André. Le président de la Cirest affirmait que «la SPL va permettre à la Cirest d’avoir un regard plus accru et un contrôle plus rigoureux sur le fonctionnement de la société ».
« Des fonds utilisés à des fins étrangères à la question des transports en commun, 400 000 euros de chèques sans aucun justificatif. «
Selon la plainte déposée par Joé Bédier, il est précisé que Ludovic AMALELOU est le président directeur général de la SPL Estival, société en charge des transports urbains sur les six communes de l’est de la Réunion. Il est donc par nature chargé d’une mission de service public. Or, les fonds dont il disposait au titre de sa fonction ont été utilisés à des fins étrangères à la question des transports en commun.
D’une part, la masse salariale de la SPL Estival, qui était plafonnée à 90 employés jusqu’en 2021, a explosé au fil des mois pour atteindre le nombre record de 140 salariés.
Parmi ces nouvelles embauches figurent plusieurs proches de Ludovic
AMALELOU : « une cousine, un beau-frère, un cousin, plusieurs amis d’enfance, un bon camarade, des proches de la mairie de Saint-Benoît aussi ». De plus, certains élus ont été récompensés en obtenant le statut de cadre et un salaire plus
avantageux.
D’autre part, plusieurs factures retrouvées au siège de la SPL Estival n’ont aucun lien apparent avec les déplacements urbains. Deux factures de l’agence de communication Booking Réunion Island des 13 janvier et 6 mars
2023 pour un montant total de 45 000 euros, réglées par chèque, portent ainsi les descriptifs suivants : « campagne de communication » et « campagne de mise en valeur des transports en commun des jeunes sur le territoire de la côte est » .
Le problème, c’est que non seulement la SPL Estival dispose de son propre service communication, mais une employée dudit service affirme ne jamais avoir entendu parler de ces campagnes de publicité.
Cette société a également émis un devis de 48 000 euros, portant la mention « bon pour accord », accompagnée de la signature de Ludovic AMADELOU. La facture comprend notamment la location de deux écrans, alors qu’aucun d’eux ne comportait un quelconque message ayant trait aux transports en commun.
Quatre factures de gardiennage émises par la société Verdier Picard sécurité privée pour un total de 46 036 euros ont en outre été découvertes pour la sécurisation d’évènements qui, pour certains, n’ont jamais eu lieu… Bref, Au total, 400 000 euros de chèques sans aucun justificatif.
Concernant « la complicité de ce délit », la plainte rappelle que Patrice SELLY est le président de la Cirest, laquelle détient et finance à 95% la SPL Estival.
A ce titre, il a la charge de contrôler l’activité et la bonne gestion de la SPL Estival. C’est en effet ce qu’il avait lui-même déclaré à l’époque de la transformation de la SEM Estival en SPL, au mois de février 2022 : « la SPL va permettre à la Cirest d’avoir un regard plus accru et un contrôle plus rigoureux sur le fonctionnement de la société ».
Joé Bédier : « la mauvaise foi notoire de Patrice Selly »
Joé Bédier estime « qu’au vu des éléments qui précèdent, il est manifeste que Monsieur Patrice SELLY a failli à sa mission. En ne s’opposant pas à la commission du délit de détournement de fonds publics, il s’est rendu complice de ce délit ».
Le maire de Saint-André tient également à souligner » la mauvaise foi notoire de Patrice SELLY, qui affirme avoir découvert ces dérives financières il y a seulement quelques mois. En effet, celui-ci déclarait le 7 septembre 2023 : « Quand j’ai découvert tout ça, je suis tombé de haut. Ma seule erreur a été de faire confiance à Monsieur AMALELOU. Il a trahi ma confiance, celle du maire de Bras- Panon, celle des pères et mères de famille qui travaillent à la SPL ».
Pour Joé Bédier « cet argument est tout à fait inaudible, et ce pour plusieurs raisons :
– au mois de juin 2021, les premières dérives financières de Monsieur Ludovic AMALELOU étaient révélées dans la presse ; Au mois de septembre 2021, Patrice SELLY refusait d’approuver le rapport de gestion de la société Estival après avoir constaté des « dysfonctionnements dans la gestion de la SEM » ; Au mois de décembre 2021, le commissaire aux comptes de la société Estival signalait un
déficit d’un million d’euros ; Au mois de mars 2022, Patrice SELLY ignorait l’alerte lancée par Monsieur Joé BEDIER ; Au mois d’octobre 2022, un diagnostic réalisé à la demande de la Cirest faisait état d’une SPL « qui dépense plus qu’elle ne gagne » ;
Rappelons que Patrice SELLY siège au conseil d’administration de la société SPL Estival. Sarah LAMBERT, élue Force Ouvrière au comité d’entreprise, déclarait en
août dernier : « Malgré tout, on ressent un énorme sentiment de gâchis parce que cette catastrophe aurait pu être évitée. Je lisais Le Quotidien du 1er juin 2021 : tout était dit sur la dérive financière et managériale d’Estival, l’explosion de la masse salariale, les avantages indus… C’était il y a deux ans mais nous n’avons pas été entendus. Tout le monde savait et personne n’a rien fait ».
Et Sarah Lambert de conclure, comme le rappelle le maire de Saint-André : « Nous demandons la dissolution du conseil d’administration et le départ de Patrice Selly (…) Ces administrateurs n’ont pas fait leur boulot et n’ont pas exercé sur la SPL le contrôle analogue qui était attendu de la part de la Cirest, alors même qu’ils étaient alertés sur le fait que la société dépensait plus qu’elle ne gagnait ».
Le temps de consulter cette plainte, il ne fait plus de doute aujourd’hui que le parquet ne devrait plus tarder à mettre en branle la machine judiciaire afin de faire toute la lumière sur la gestion financière de la SPL Estival où, faut-il le rappeler, des dizaines de salariés, pères et de mères de familles, craignent pour leur emploi. Affaire à suivre !
Yves Mont-Rouge
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